Le bout du bout, le bout du tunnel, le bon bout, un bout de chou, le bout d’an des Marseillais, à bout de bras, de souffle ou à bout tout court. Je suis persuadée qu’en ce 19 décembre 2021, au moins une de ces expressions correspond à ta réalité.
Mis bout à bout, les bouts deviennent un tout qu’on peut appeler une vie. Ce matin j’ai marqué le moment de clôture d’un bout de mon existence qui déborde largement de la traversée du cancer. Je dirais même qu’à la façon des poupées gigognes, le cancer était l’une des poupées du dedans contenue par une poupée plus grande qu’elle, cette dernière elle-même contenue par encore plus grande, etc, etc. Je pense que tu as saisi l’image.
En même temps que j’évoque l’image des poupées imbriquées, me revient en mémoire la série Netflix, Russian doll, que je te conseille d’ailleurs. L’héroïne s’appelle Nadia. Nadia revit en boucle sa mort et sa fête d’anniversaire. Le synopsis dit d’elle « qu’elle n’a pas d’autre choix que de regarder la mort en face ». La mort, c’est bien un bout de l’extrême. Le bout jumeau de la naissance.
Mise à nu
Je sais que parler de recourir à des rituels s’inscrit dans la tendance « chamanique chic » et j’aimerais franchement ne pas tomber dans cet écueil du phénomène de mode. A force de coups de communication, le mot « rituel » est réduit à plus grand chose. On met tout et n’importe quoi dedans, et, tout aussi regrettable, on lui impose une forme. Voilà pourquoi plus haut j’ai mentionné avoir « marqué le moment » et que je n’emploie pas le mot en « r ».
Récidive. Un mot en « r » aussi. La récidive du cancer m’a tout bonnement mis une pelle entre les mains et m’a dit : « Il est l’heure de creuser bien plus profond. Retrousse-toi les manches, ça sera laborieux et douloureux. » Elle s’est empressée d’ajouter : « Tu vas devoir changer de tenue ». J’ai donc rangé toutes mes panoplies, celle de la bonne copine, de la prof de yoga, de la voisine serviable, de l’employée dévouée, de la cliente compréhensive, de l’usagère soumise, de la patiente diligente, de la personne fiable. J’ai aussi posé mon manteau social numérique au vestiaire. D’où mon silence jusqu’à aujourd’hui.
A poil que j’étais. Ma pelle à la main.
Ma mise à nu ne s’est pas faite en une seule fois. Ca a commencé à l’accueil de la nouvelle de la récidive, ça s’est poursuivi à l’annonce de la mise en place d’un traitement de chimio par comprimés couplé à une mise en ménopause artificielle, ça a continué avec une embauche en entreprise concomitante à la confirmation de la toxicité du traitement sur mon organisme. J’ai continué l’effeuillage avec le sevrage de médicament et la recherche d’un nouveau logement, me suis trouvée encore plus dévêtue avec le déménagement et la reprise d’un nouveau traitement.
Le bon bout
Décembre 2021. Je frissonne dans les courants d’air des salles d’attente de la clinique. « Vos résultats sont bons Madame Gay ». Je prends ça comme un bout à marquer d’une pierre blanche.
Ce que je ne t’ai pas dit c’est que la récidive avait dit autre chose. Elle avait dit aussi : « Tu ne seras pas seule, tu ne l’as jamais été. »
Alors si je couche ces mots sur la Toile, c’est pour marquer les noms des personnes qui se sont tenues debout à mes côtés en même temps que je creusais, même si beaucoup d’entre elles ne réalisent pas le soutien qu’elles m’ont procuré.
Mon cercle intime (mon amoureux et ses parents, mes deux frères, l’esprit de mon papa, ma sœur de cœur et sa famille, Katia). Mes trois Anges Gardiennes qui guident et donnent de la puissance à mes coups de pelle (Sophie, Frédérique et Patricia). Marie-Noëlle et Corinne qui m’ont sauvée de l’asphyxie mentale cet été. Illys qui m’a emmené randonner. Gino qui n’a reculé devant rien pour nous aider à déménager. Lydia, Nathalie, Sylviane, Florence, Laurence, Agnès et Sylvie dont le soutien déborde des tapis de yoga depuis plus de 10 ans. Les amis ou connaissances dont les mains tendues m’ont sorti la tête de l’eau quand matériellement tout basculait : Karine, Luc, Caroline, Richard, Eve. Aude du Grenier du Corps que j’ai lâchée brutalement dans la poursuite des stages de yoga et qui ne m’en a pas tenu rigueur. Anaïs, Maud et Marie, les trois femmes qui coordonnent les soins à la clinique. Pascal et Stéphane, mes amis de Nîmes. Mathilde et Ghislain, ceux de Marseille. Virginie et Jean-Yves qui ont rendu simple ce qui se présentait à moi comme complexe. Complexité face à laquelle j’étais désœuvrée et littéralement éplorée il faut le dire. Clotilde, Stéphanie, Jérôme et les trois « affreux » pour les vidéos et la place de spectacle. Les personnes qui ont conseillé, écrit ou manifesté leur présence en pensées sur les réseaux sociaux ou par email, je ne peux pas marquer vos noms à tous, j’ai fait de mon mieux pour vous répondre individuellement dans les posts ou messages.
Votre commentaire