En août dernier, j’ai séjourné en pleine campagne bourguignonne pendant une semaine. J’ai profité d’un beau et vaste jardin dans lequel je ne faisais rien. Du rien ponctué d’un café matinal et d’un déjeuner face aux étendues de champs.
Ce vaste et beau jardin qui fut l’écrin de ma paresse vaut à mes yeux tous les paradis terrestres. Il vaut même à mes yeux tous les eldorados extra-terrestres qu’on nous fait miroiter. N’en déplaise à Messieurs Bezos, Musk et Branson, je fais partie des indécrottables terrien.nes. Je kiffe le ciel vu de la terre. Je kiffe la verdure et la terre retournée dans le jardin des amis qui m’accueillent à la campagne.
Pourquoi donc te parler de ce jardin extraordinaire? Je voulais en venir à mes préparatifs de voyage pour arriver jusqu’à cet Eden, et plus précisément à la question de savoir quel tapis de yoga emporter.
Zut! Il me faut remonter plus loin dans le temps pour éclaircir mon propos.
Je te transporte début 2000. Le protagoniste de mon histoire est le tapis de yoga, « the yoga mat » pour être plus précise car l’action se déroule à Dublin, Irlande.
Début 2000 donc, nous sommes encore loin de la profusion de petite entreprises qui vendent des accessoires de yoga de toutes les formes et de toutes les couleurs. En France, Go Sport et Décathlon ignoraient encore ce marché. Tu trouvais alors en magasin du tapis de sol de camping, à placer sous ton sac de couchage, ou de gymnastique, variante du premier, le genre spongieux, de couleur bleu marine, semblable, mais de moins bonne qualité, à ceux sur lesquels tu as posé ton boule maintes fois en cours d’EPS avec Madame Gomez au collège. Celui-là même que tu raccrochais à des barres murales en les enfilant par les oeillets percés à cet effet avant de passer aux vestiaires.
Je te laisse te remémorer l’odeur de transpi dudit lieu. Cela n’en rendra le souvenir que plus clair. Te voilà complètement envouté.e par mon histoire de tapis.
A Dublin, mon prof de yoga ne se résolvait pas à nous condamner à l’exécution d’asanas sur les rectangles de gymnastique de la salle de sport où le yoga cherchait sa place entre les tapis de course et les bancs de musculation. Il s’était débrouillé pour se procurer depuis Londres (je précise la provenance parce que je trouve que ça donne un côté épique à mon histoire. Manque plus que je te dise que la commande s’est faite par radio et en message codé et bam ! Tu t’imagines mon prof de yoga en résistant de la seconde guerre mondiale) un rouleau épais de tapis de yoga, façon rouleau de toile cirée de chez Mr Bricolage, dont il nous revendait des bouts, à la coupe.
Le choix des matières : PVC ou PVC. Celui des couleurs : bleu marine ou violet. Je me disais que la fantaisie du violet devait être une touche marketing pour plaire aux rebelles spirituels qui ne font pas « de la gym ». Conservatrice que j’étais (ou peut-être aussi nostalgique que j’étais des cours avec Madame Gomez), j’avais opté pour un quadrilatère bleu marine.
A la manière d’une nouvelle paire de chaussures en cuir, un tapis de yoga « se faisait ».
A force de l’utiliser, on le patinait et on y adhérait mieux. La garantie d’une démarche de yoga assurée après des heures de rodage règlementaires. Ou presque.
Ma nature pitta-kapha suintant dans l’effort, s’ajoute à ma quête de sthira-sukham le souci de conserver ma mâchoire intacte dans les asanas d’appui sur les mains. Aussi, je suis devenue une adepte de la magnésie, cette poudre ultra fine dont les gymnastes s’enduisent les mains pour améliorer leur prise (je pourrais pimenter le récit en te disant que l’esprit de Madame Gomez était venue me porter conseil en rêve, mais ce serait carrément tiré par les cheveux et te dissuaderait de continuer à me lire, alors non.) Un autre prof de yoga sensible à mon intégrité buccodentaire m’avait conseillé de superposer à mon tapis en PVC un tapis textile, en coton, comme le faisaient les pratiquants de yoga qui revenaient d’Inde. Ce fut l’occasion pour moi de faire de la place à la notion de paradoxes dans ma pratique du yoga : à l’inverse du tapis en PVC, le tapis textile était glissant quand il étais sec. Afin de remédier à ce désagrément, on me conseilla de le mouiller à l’eau du robinet à l’emplacement des mains et des pieds dans adho muka svanasana, la posture qui sert de repère pour définir où sur ton tapis tu poseras le plus souvent tes mains et tes pieds. (Subjugué.e que tu es par mes propos, tu n’es plus à un paradoxe prêt, alors je me permets de préciser que adho muka svanasana se traduit par « posture du chien la tête en bas », tu noteras donc qu’en yoga l’étalon est un chien, pas un cheval. Je te laisse méditer là-dessus. Ou pas).
Après 2002. L’action se poursuit à Paris. Je m’offre un nouveau tapis, en PVC toujours, mais, comble de l’extravagance parisienne, les coins du tapis sont arrondis, le tapis est orange. (Oui, j’entends ta remarque mentale, elle est juste : je m’encanaillais grave à cette époque). On me parle aussi d’une matière alternative au PVC dans les tapis de yoga : le caoutchouc naturel. J’adhère tout de suite. Mon yoga devient indéniablement fantastique sans plastique. Le tapis de sol en caoutchouc est devenu mon accessoire de respiration préféré, en deuxième position, juste après ma paire de poumons.
Si toi aussi tu es passé du tapis PVC au tapis caoutchouc, tu sais. Tu sais le premier beaucoup plus léger que le second. Tu sais que lorsque tu voyages tu dois faire des choix quasi cornéliens concernant ton paquetage.
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