Par de curieux détours, la Bhagavadgîtâ a refait surface dans ma vie.La lecture de ce texte indien m’a toujours paru fastidieuse et pourtant j’y reviens avec une écoute nouvelle grâce à un chevalier normand, aux Avengers et d’excellents podcasts. Le renoncement n’a rien de maso et serait une noble quête (plus que le jardinage si je devais faire un benchmarking), c’est mon intuition .
De la dangerosité de la lecture
Le couperet est tombé. Le cancer pour lequel j’avais été soignée fin 2019 fait son retour. Même topo que la première fois que j’ai soupçonné la présence d’une tumeur en moi : c’est absorbée par la lecture d’un bon bouquin que je me masse la nuque et le cou et que je sens une boule, puis deux, puis trois. Cyniquement je me suis dit que je ferais mieux d’arrêter de lire.
L’analyse de sang de mars 2021 montre que les marqueurs du cancer du sein ont fait un bond et dépassent le seuil normal. Et dire que le bilan sanguin trois mois plus tôt était clean… Bref, TEP scan puis biopsie début avril, suivis d’un rendez-vous avec l’oncologue pour savoir de quoi il retourne. Les couloirs labyrinthiques de la clinique me deviennent que trop familiers.
De la réassurance dans les objets et les livres
J’ai une confidence à te faire. Depuis le traitement par radiothérapie, j’ai pris l’habitude de porter un vêtement fétiche ou d’emporter un objet grigri lors de mes rendez-vous médicaux. Je n’en attends pas de miracle, ça me rassure simplement. Pour passer le scanner je portais une nouvelle écharpe que je m’étais offerte à la boutique dans laquelle je travaille, pour la biopsie je portais le même foulard avec un joli sac qu’une amie m’avait donné et pour le rendez-vous avec l’oncologue je portais deux bijoux qu’on m’avait offerts et, entre deux mammographies, j’avais glissé un bouquin dans mon sac : la Bhagavadgîtâ .

De ma difficulté à lire la Bhagavadgîtâ
Si tu as suivi une formation de yoga, il y a de fortes chances que l’ouvrage ait figuré dans ta liste de lectures recommandées. Je l’ai partiellement lu en anglais il y a une quinzaine d’années mais je n’ai jamais accroché, j’étais perdue dans les nombreuses références et analyses contradictoires en commentaires. Ah oui, j’ai oublié de préciser que ce genre de texte doit se lire commenté, son style poétique requiert aussi un éclairage contextuel ou sémantique.
Plus récemment, j’en ai trouvé une autre version en français. Texte plus commentaires. Je l’ai lue entièrement cette fois-ci, mais j’y suis encore restée hermétique, les commentaires y afférents étant cette fois simplistes et réducteurs sans être pour autant plus éclairants. La traduction française que je m’étais procurée est en fait traduite d’une traduction anglaise, autant dire que « lost in translation » qualifie trop bien le rendu final.
Si tu n’as jamais entendu parler de ce livre, je te le présente brièvement : la Bhagavadgîtâ est un poème mystique et philosophique qui fait partie des textes de référence de l’Hindouisme. Elle est l’œuvre indienne qui a été la plus lue et traduite dans le monde. On estime que le texte a été écrit aux alentours du IIIe siècle avant J.-C. Le texte original fut rédigé en sanskrit, une langue qui présente bien des nuances de sens et qui est par conséquent sujette à interprétation, ce qui fait que toutes les traductions ne se valent pas et que les commentaires et points de vue sur le texte partent dans tous les sens.
Pourquoi cette lecture est-elle considérée comme incontournable si tu te formes au yoga? Parce que la Bhagavadgîtâ a introduit le mot « yoga » dans la culture Indienne. Au IIe siècle avant notre ère, ce mot était inexistant dans les textes. Or l’apparition d’un mot nouveau n’est pas un évènement anodin, il met au monde une idée.
Avril 2021. Et si je te disais qu’un noble normand du XIVe siècle, champion de l’indépendance normande et que les Avengers de la Warner Bros m’avaient donné envie de revenir à la Bhagavadgîtâ ? Surpris.e?
« C’était un chevalier de grand courage et moult vaillant de conseil et d’arme selon sa puissance … » lit-on sur la quatrième de couverture de La saga de Godefroy le Boiteux de Jean Mabire qu’on m’a mise entre les mains en me disant : « J’ai pensé à toi, je te prête ce livre, à toi qui est Normande ».
J’ai mis un peu de temps pour passer de la lecture des deux polars entamés simultanément, l’un de Jussi Adler Olsen dans le Danemark contemporain et l’autre de Abir Mukherjee dans le Calcutta des années 20, au récit historique de la vie et du combat du seigneur Godefroy de Harcourt, descendant viking, tiraillé entre le roi de France Philippe de Valois et le roi d’Angleterre Edouard III aux débuts de la guerre de Cent Ans. C’est à la fois une gymnastique de l’imaginaire que de passer d’une époque à l’autre et une gymnastique cérébrale que de naviguer entre trois styles d’écriture différents. L’exercice me plait bien entendu, sinon je ne m’y adonnerais pas.
L’histoire du valeureux boiteux a ainsi fini par me happer. Il s’agit bien de sombres histoires de manigances politiques, de tueries, de pillages et de viols pour s’approprier des terres et conserver l’avantage stratégique de l’accès à la mer. C’est aussi en filigrane une histoire de choix difficiles, d’affirmation de ses convictions, de fédération des forces, de courage d’agir, de dépassement de soi.
Morceau choisi :
Godefroy de Harcourt, de son pas tanguant, se dirige vers un arbre auquel il s’adosse. Il a avancé une de ses jambes et s’est bien carré sur l’autre, la plus courte, qu’il assure contre une forte racine. Jamais il ne s’est senti aussi solide, véritable roc sur sa terre cotentine. Il se trouve environ dans la cinquantième année de son âge et il sait que son heure est venue. Vivre un demi-siècle, en cette époque tumultueuse, c’est déjà vivre une très longue vie. La sienne a été illuminée par un grand songe, surgi de l’enfance, du Roman de Rou, des propos de son grand-oncle, de l’obscur souvenir des grands capitaines de sa race. Il va donc mourir maintenant, au plein de sa force, l’arme à la main.
Bien assuré sur ses deux jambes, planté sur la terre du vignoble comme un arbre noueux, il abandonne désormais son épée pour une hache d’armes. Pour son dernier combat, le Boiteux veut manier cette arme terrible héritée des lointains Vikings. C’est avec cette doloire redoutable qu’il va donc livrer sa dernière bataille. Jamais il n’a été aussi calme. Comme Ragnar Lodbrog, mort outre mer dans sa fosse aux serpents, il veut périr en souriant. Son sacrifice n’aura que plus de sens s’il avance vers la mort en solitaire, sans aucun autre compagnon désormais pour partager son destin. Tout homme doit savoir mourir seul. Face à l’unique miroir de l’idée qu’il se fait de lui-même. Quand il voit déboucher ses ennemis, Godefroy de Harcourt prend le temps de faire un signe de croix. Puis il parle seul, à haute voix, tout en reprenant à deux mains le manche de son arme: – Aujourd’hui, en suaire d’armes sera mon corps enseveli. Doux Dieu Jésus-Christ, je vais mourir en me défendant et en vengeant cruelle mort dont à tort et sans raison l’on a fait vilainement mourir ceux de mon sang. Ses mains deviennent un peu plus blanches à force de serrer le bois de sa lourde hache. Le Boiteux prononce encore quelques paroles. Il ne voudrait plus converser qu’avec le Créateur : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Doux Dieu, Jésus-Christ, je te remercie de l’honorable mort que tu m’envoies. Jamais, le seigneur de Saint-Sauveur-le-Vicomte n’aura senti sa conscience aussi paisible. Il regarde d’un air méprisant les chevaliers français qui, eux aussi, ont mis pied à terre et se rangent en bataille dans l’enclos. Au premier rang, Robert de Clermont et Baudrain de la Heuse sont impressionnés par le calme fantastique du noble Cotentinais. Ils laissent aux clercs et aux juges de Paris l’ignoble privilège de le nommer «trahiteur». Pour eux, Godefroy de Harcourt reste un de leurs pairs. Un chevalier comme eux, étroitement prisonnier de la fidélité qu’il a librement choisie. Et plus courageux que nul autre. Ils voudraient épargner cette flamme si pure.
– Rendez-vous, beau doux sire, lui crient les Français. Et il vous sera fait merci, par Saint-Denis.
Le Cotentinais lance une dernière parole qui claque comme une injure :
– Par l’âme d’Alix de Brabant, ma mère, jamais le dauphin de France, qui se proclame duc de Normandie, ne me tiendra vivant. Il sait maintenant que du Cotentin il reprendra au moins aux assaillants la longueur de son corps.
Dans un cri, un peu étouffé par le brouillard qui s’épaissit, huit hommes d’armes et de nombreux archers se précipitent sur le Normand solitaire. Godefroy reçoit le choc à grands coups de hache. Sur la masse ennemie, il abat sa cognée comme un terrible bûcheron, fendant les heaumes et les chapels de fer. Le sang jaillit des crânes ouverts. Les soldats français sauront ce qu’il en coûte de vouloir fouler en maîtres la terre normande. Godefroy, si calme tout à l’heure quand il se remettait entre les mains du Christ, retrouve soudain l’antique fureur des bersekers, ces guerriers scandinaves, brûlés par l’ivresse d’une inextinguible querelle et qui mordaient de rage leurs boucliers. Ces furieux que le dieu Odin conviait par le galop des Valkyries dans son palais du Valhalla, accourent, invisibles, autour de ce seigneur qui possède dans ses veines tout le bouillonnement de leur sang rebelle. Ils forment comme une garde suprême, dans ce clos du destin. Le vin de ces vignes gardera long temps le goût du sang vermeil versé en la bataille.
Godefroy le Boiteux se défend avec tant de bravoure et tant de sagesse qu’il parvient à blesser grièvement plusieurs de ses adversaires. Autour de lui, sur l’herbe sanglante, des Français gisent, hors de combat. Mais d’autres arrivent. Contre un homme seul, ils sont des dizaines et des dizaines. Le Boiteux disparaît sous une véritable grappe humaine. Vieux cep noueux rongé de vermine.
(…)
En face, les chevaliers français se rapprochent. Nul ne pourrait arrêter leur ruée. Les voici. La pointe de leur arme atteint le Boiteux en pleine poitrine. D’une double poussée, ils parviennent à déplanter cet arbre de chair et de sang, si rudement fiché en sa terre cotentine, une jambe plus courte que l’autre et le cœur battant au rythme du galop des chevaux ennemis.
Une dernière fois, le Boiteux ouvre la bouche pour respirer l’air du pays natal. Il gonfle ses poumons. La mer est toute proche. Le crachin garde un goût de sel qui lui brûle un peu les lèvres et semble la saveur même du pays. Il boit goulûment cet air chargé de tous les parfums de la terre et de la mer. Il halète, fermant un instant les yeux pour mieux se sentir envahi par toute la douceur humide et froide du pays. Mais de ses poumons percés par le fer un flot de sang jaillit qui lui inonde la gorge et la face. Le Boiteux vacille. Ses mains laissent s’échapper la lourde hache. L’arme gît à ses pieds. Son armure est éclaboussée de gouttes de pluie et de sang. Il lui semble soudain que l’herbe verte et la terre grasse montent vers lui. Ce n’est pas son corps qui tombe, mais tout le sol normand qui se lève pour l’ensevelir. Sitôt le Boiteux à terre, embroché par les deux lances de guerre, des coutiliers français se précipitent, leur redoutable bazelaire au poing. Ils cherchent le défaut de l’armure et le frappent. Les lames pénètrent et s’enfoncent. Quelques ultimes soubresauts. Bientôt, saigné à mort, le Boiteux n’est plus qu’un cadavre. Immobiles, ses adversaires entourent le corps du seigneur de Saint-Sauveur-le Vicomte, comme s’ils ne voulaient pas encore croire que tout est fini. » – La saga de Godefroy le Boiteux de Jean Mabire
Animé par l’envie de regarder un film divertissant et en rupture avec la réalité, mon amoureux me propose de regarder la mini-série Falcon et le Soldat de l’hiver. Note : j’adore la science fiction.
Des épisodes de cinquante minutes, c’est tentant, ça laisse à penser qu’il y aura un déroulé complexe et donc riche de l’histoire, me dis-je. Zut! Ce n’est qu’à l’épisode 3 que j’ai ressenti un soupçon d’intérêt, non pas parce que l’intrigue est mal amenée mais parce que l’histoire fait beaucoup référence à des personnages et des évènements qui ne sont pas développés ou expliqués dans la mini-série. Il faut avoir suivi la saga des Avengers pour vraiment tout mettre en lien. Qu’à cela ne tienne. Ayant le vague souvenir d’avoir vu le premier film des Avengers, je me suis penchée sur les suivants : L’ère d’Ultron (que j’avais en fait déjà vu mais qui ne m’avait pas marqué plus que ça), Infinity war et Endgame qui sont en fait une même histoire et au cours du visionnage desquels j’avoue avoir appuyé sur l’avance accélérée une ou deux fois. Je me rends compte que ça n’a pas suffi à combler mes lacunes, il me semble que ça vaudrait la peine que je regarde aussi Black Panthers et sans doute d’autres des adaptations Marvel au cinéma, mais je n’en ai pas envie (sauf si tu m’en recommandes une en particulier).
Un personnage en particulier m’a titillée parce que j’en attendais plus de lui. Il s’agit de Thanos, central dans Infinity War et Endgame, il est le responsable du contexte de chaos dans lequel commence la mini-série et de l’absence de plusieurs héros morts en le combattant. Il a donc sérieusement redistribué les cartes. Parce qu’il est inspiré par la mythologie grecque, j’attendais de ce personnage qu’il apporte de la complexité aux luttes, mais ça n’était pas le cas du Thanos de la WB. Usbek & Rica a même jugé que le demi-génocide qu’entreprend ce grand méchant pour sauver l’autre moitié de l’humanité aura été illusoire et inutile et que ce personnage qui use de moyens immoraux mais qui reste motivé par une cause sympathique est finalement bien caricatural.
Le truc qui m’a terriblement frustrée c’est que Thanos a donc entrepris de sauver l’humanité d’elle-même pour au final se retirer en pleine nature et cultiver son potager, façon géant vert. Les Avengers lui remettent la main dessus. Pris au piège, il avoue avoir détruit l’arme qui lui a permis de faire disparaitre des milliards d’humains et ponctue ses aveux avec ça : « Mon œuvre est achevée, je suis désormais inéluctable. » Sur quoi Thor lui balance un coup de marteau fatal. Quand on pense que pendant tout le film Infinity War, les Avengers sont impuissants face à lui ; il suffit qu’il se ramollisse au grand air pour que le Viking taciturne lui fasse bouffer les pissenlits par la racine d’un simple revers de massue. Évidemment, on parle de science fiction, ça n’a pas à être crédible, on peut néanmoins en attendre de la cohérence.

Ces deux références, le livre de Jean Mabire et les Avengers version cinéma ont flotté en moi et m’ont donné l’envie de revenir à la Bhagavadgîtâ . Cette fois-ci, je fais mon coming back au texte par le biais d’une série de podcasts sur France Culture et j’ai bien fait. Les podcasts ont ravivé la flamme, c’est avec la fraicheur de cette flamme que j’ai repris la lecture de ma version anglaise, traduite et commentée par un sanskritiste. Moi qui m’étais dit que je ferais mieux d’arrêter de lire …
Si comme moi, tu as toujours approché cette oeuvre à reculons et avec curiosité en même temps, je te conseille d’écouter ces podcasts.
Au moins trois des intervenants sont sanskritistes, et ça me parait important car ils ont un accès au texte dans sa matière brute et leurs commentaires sont en conséquence pleins de nuances et très instructifs : Colette Poggi (philosophe, indianiste et sanskritiste) , Marc Ballanfat (professeur de philosophie, traducteur de textes en sanskrit et spécialiste des philosophies indiennes), Silvia d’Intino (indianiste, philologue, chercheur au CNRS au département anthropologie et histoire des mondes antiques). Le quatrième intervenant, Raphaël Voix, est ethnologue, chargé de recherche au CNRS, spécialiste de l’ascétisme hindou.
Si ça t’intéresse, tu trouveras ci-après mes notes prises sur les podcasts.
– La Bhagavadgîtâ s’inscrit dans un corpus plus large, le Mahâbhârata, une épopée qui raconte l’histoire d’une guerre fratricide qui oppose deux clans cousins de descendance noble, les Kaurava contre les Pândava.
– Le héros de la Bhagavadgîtâ s’appelle Arjuna. Archer émérite, ce prince appartient au clan des Pandava et se trouve au début du récit sur le champ de bataille pris d’un doute sur la légitimité du combat dans lequel il s’apprête à s’engager. Arjuna est à bord d’un char conduit par un cocher qui se révèle être nul autre que Krishna, l’un des avatars du dieu Vishnu. Krishna engage alors une conversation avec Arjuna sur le bien fondé de sa mission sur le champ de bataille. C’est tout l’objet du Bhagavadgîtâ.
– La Bhagavadgîtâ a fait l’objet de lectures très différentes au fil des siècles. Malheureusement détachée de son contexte, elle a pu être récupérée politiquement, pour justifier notamment des actes terroristes.
– La Bhagavadgîtâ a introduit le mot « yoga » dans la culture indienne. Au IIe siècle avant notre ère, ce mot était inexistant dans les textes.
– Le yoga traduit dans la Bhagavadgîtâ comme ascèse par Marc Ballanfat. Une ascèse qu’on peut comparer à celle des stoïciens : se discipliner, développer la maitrise de soi. Ce qui est traduit par Ignace de Loyola comme les « exercices spirituels ».
– L’ascèse qu’on appelle yoga donne son sens au renoncement. On renonce pour se donner des règles à soi-même et se libérer, se libérer de fausse idée du libre-arbitre. Le renoncement n’a pas qu’une connotation négative rappelle Marc Ballanfat.
Renoncer : annoncer en retour, renvoyer, rapporter.
Re– (en retour) –nuntiare (annonce)
Le verbe a eu le sens d’ »annoncer, déclarer, révéler » d’où aussi « expliquer » jusqu’au XVe siècle.
– « Renoncer » s’inscrit dans le thème de la perte et du gain. Ceux qui sont prêts à renoncer à quelque chose y gagnent. Le vide et le plein. On perd pour gagner, même si on n’est jamais sûr de savoir ce qu’on gagne et en quelle quantité.
– Les Indiens voient trois manières d’agir, trois formes de mouvement possibles :
- par la parole
- par le mental
- par le corps
– Le Mahâbhârata a été écrit en réaction au bouddhisme qui dit qu’il faut renoncer à agir. La Bhagavadgîtâ dit qu’il faut agir avec détachement.
– Le mot yoga a pour racine yuj-. La racine du mot couvre toutefois un large champs lexical. Yuj-, veut dire relier. En fixant son attention sur, on se relie à. Yuj- est aussi yukti : la pertinence, la justesse et yukta : être relié. Le.la yogin.i est celui ou celle qui cherche à faire la jonction.
– « C’est l’image fondamentale et symbolique en Inde, qu’on retrouve dans la Bhagavadgîtâ avec la roue, de cet espace qui doit être bien centré et dans lequel les rayons sont reliés au centre. Il s’agit donc de se centrer, « yuj« , à son espace, et de ne pas oublier la circonférence et les rayons.«
– En Inde, la connaissance métaphysique de la réalité intègre le corps. Contrairement au mode de pensée occidental, la pensée Indienne envisage la connaissance comme un expérience intégrative, inclusive. Certains commentaires de la Bhagavadgîtâ ont apporté un éclairage par le prisme du tantra : il n’y pas de dépréciation du corps, des expériences sensorielles, pas de rejet du monde comme étant illusoire. Le hic c’est que notre regard sur le monde, sur la vie est troublé par notre sens du Moi exacerbé.
– Le yoga est une connaissance qui conduit à la réalité. Cette connaissance est une traversée de soi. Nous sommes constitués de plusieurs niveaux d’être. Nous sommes pourvus d’une cuirasse extérieure, qui est donc artificielle, qui s’est forgée grâce (ou à cause de) notre éducation, nos mémoires oubliées, notre culture, l’inconscient finalement. Ca c’est le Moi qui veut agir, qui veut s’approprier les choses. il y a aussi le Soi impersonnel et il existe un espace entre le Moi qui veut paraitre et le Soi universel qui n’a pas d’individualité. Cet espace est un entre-deux (antara) dans lequel le Moi est un « je suis » sans avoir. Arjuna est conduit par son cocher dans cet entre-deux.
– L’acte et la connaissance sont indissociables comme les deux ailes d’un oiseau. L’acte est une posture (au sens d’attitude intérieure) ou un service rendu.
– Le paradoxe est de savoir comment se défaire de la volonté pour lâcher-prise. Lâcher-prise c’est le résultat d’un travail. S’imposer le lâcher-prise est contre productif. Colette Poggi apporte un éclairage en nous apprenant que la définition de « volonté » en sanskrit est pleine de nuances. Il y a un terme pour décrire la volonté farouche du Moi qui veut quelque chose mais il existe un autre terme pour « volonté » qui signifie aspiration profonde à, ressentir le besoin de. Dans la Bhagavadgîtâ, du profond désarroi d’Arjuna, désarroi qui parcourt même son corps, va émerger une sorte d’aspiration, d’intention de comprendre ce qui se passe. « Instruis-moi, je suis ton disciple. » dit Arjuna à son cocher.
– Ce qu’il faut retenir : l’être humain ne peut s’empêcher d’agir. S’accomplir c’est accomplir, mais d’où vient cet acte? De quel centre? La question n’est pas « faut-il agir?« , mais « comment agir?«
– Le champ de bataille est une métaphore de notre corps. Le char est une métaphore du corps, l’archer qu’il transporte (Arjuna) est l’âme, le cocher qui conduit le char, le discernement intuitif. L’existence est faite de consonance et dissonance. L’aiguillon du désespoir, de l’anxiété, de l’angoisse sont indispensables pour nous faire avancer. Ca ne veut pas dire qu’on est maso. C’est une incitation grâce à un germe d’entropie, de désordre, de chaos. il n’y a jamais chaos sans un germe d’harmonie et jamais d’harmonie sans désagrégation. Tout se passe comme si la mise en présence de ces deux forces nous mettait en chemin.
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