CA SE SOIGNE BIEN (partie 4)

Partie 4 : Moments marquants

▶︎ (Re)lire l’introduction de mon récit : la maladie met mal à l’aise

(Re)lire la partie 1 : apprendre qu’on est malade

▶︎ (Re)lire la partie 2 : l’emballement

(Re)lire la partie 3 : effets collatéraux


16.10.2019 rdv radiothérapie marquage
25.10.2019 scintigraphie osseuse et scanner
31.10.2019 rdv radiothérapie calibrage
05.11.2019 rdv oncologue
du 04.11 au 24.12.2019 séances de radiothérapie


Le corps marqué

Contrairement a ce qu’on pourrait croire, les séances de radiothérapie ne s’apparentent pas à des séances d’UV. Elles demandent à ce qu’un certain nombre de mesures soient prises pour déterminer la puissance et la trajectoire des rayons auxquels on va t’exposer. Le radiothérapeute qui me suit n’a certes pas fait les beaux-arts, mais il m’explique à l’appui d’un dessin ce qui suit : la zone où le rayonnement sera le plus fort est la zone où se trouvait la tumeur ; seront aussi irradiées des zones qui correspondent à des carrefours lymphatiques (sous la clavicule et ailleurs sur la poitrine). Tu es tout de suite prévenue, ta peau va brûler à la manière d’un méchant coup de soleil. On te prescrit une crème fortement dosée en acide hyaluronique à appliquer quotidiennement voire deux fois par jour puis on t’envoie au département planification pour enregistrer tes éventuelles contraintes d’emploi du temps. J’ai choisi de continuer mes activités pro. Activités au pluriel? Oui, l’ubérisation du travail, ça me connait. Je donne trois cours hebdomadaires de yoga et je travaille à temps partiel dans une boutique de vêtements. Quant aux occasionnels papiers, je les écris depuis chez moi, je m’organise comme je veux/peux. Une fois que les jours et tranches horaires sur lesquelles je peux me rendre disponible pour l’hôpital sont clairement identifiés, on me donne un rendez-vous pour le « marquage ».

L’hôpital où mes séances de radiothérapie vont se dérouler se situe en marge de la ville. Pour y accéder, je prends d’abord le métro puis le bus. En fait, je ne savais même pas en quoi ce « marquage » consisterait. Mon rendez-vous était prévu tôt le matin, à 8h. J’avais bu deux bons cafés avant de partir. Pas de chance, à cette heure de la matinée, le bus ne dessert pas l’arrêt de l’hôpital, je me retrouve paumée deux arrêts plus loin, je rebrousse chemin à pied pour tenter de localiser l’embranchement à prendre pour rejoindre mon lieu de rendez-vous. Je finis par y arriver. Pas le temps de remettre de l’ordre dans mes idées avant de me retrouver torse nu face à une infirmière qui me fait passer dans un scanner afin de localiser sur mon buste trois points qu’elle tatoue. Ces points serviront de repères pour positionner le panneau qui projettera les rayons sur ma poitrine. « Le tatouage est indélébile, il reste en moyenne deux ans sur vous ». Elle finit son intervention en me tirant le portrait. Par la suite, m’explique-t-elle, avant chaque séance de rayons, un.e manipulateur.rice en radiothérapie me montrera mon portrait à l’écran et me demandera de confirmer qu’il s’agit bien de moi.

Marquée et fichée. Je n’avais rien vu venir.

Sur le chemin du retour, je la sens monter graduellement. La nausée. Dans le bus qui me transporte vers la station de métro, je transpire, j’étouffe. Je fais de mon mieux pour tenir le choc. A la gare routière, la nausée va grandissante. Le tourbillon des personnes autour de moi ne me rassure pas. Je me sens très seule au milieu de tout ce monde. Je prends le métro mais descends rapidement. Je sais ce qui m’arrive. Je suis lucide, je fais tout bonnement une crise de panique. Je me sens bondir de manière erratique à l’intérieur et personne ne le remarque. Je me parle, je me dis de respirer lentement, de laisser la respiration descendre. C’est difficile. Je mets ça sur le compte du café, mais au fond je sais que c’est plus subtil que ça : je me sens captive, je ne m’appartiens plus. Je marche pour rentrer. Marcher à l’air libre me tranquillise.

« Est-ce bien vous sur la photo? » me demandera-t-on 33 fois par la suite. « A vous de me le dire » aurai-je envie de répondre.

J’ai parlé de cet épisode à mon médecin traitant, elle me conseille un accompagnement psychologique. Il se trouve que dans le centre médical où je vois mon médecin traitant c’est un psychiatre qui consulte. Elle me prend un rendez-vous avec ce docteur. Je lui parle de la crise de panique et d’autres de ces choses que je ressens et que personne d’autre n’a osé entendre. Il me demande si ma démarche en venant le voir est de me faire prescrire des antidépresseurs ou simplement de parler. « C’est de parler dont j’ai besoin. Parler de la réalité. » Il me dit que ça corrobore ce qu’il pensait. Il m’écoute, puis, en substance, il me dit deux choses. D’abord, vivre toutes ces étapes du traitement constitue une réelle mise à l’épreuve et avoir son corps marqué en particulier n’est pas anodin. Ensuite il ajoute que je ne dois pas attendre des autres qu’ils modèrent leur détresse, c’est à moi de gérer. Je lui dis que je trouve ça injuste. Il me répond que c’en est ainsi.

Je subis deux examens que je pensais sans conséquences. Je m’étais trompée.

Au cours des visites médicales, on m’a souvent confié un tas de paperasse. Dans la liasse de documents se trouvaient à chaque fois des ordonnances. Deux d’entre elles m’avaient été placées silencieusement entre les mains, j’ai supposé qu’il s’agissait de prises de clichés qui serviraient de référence au radiothérapeute. En fait, c’était plus conséquent que cela, je ne le comprendrai qu’une fois les examens finis.

La scintigraphie osseuse. On m’a à nouveau transfusé du liquide radioactif dans l’organisme avant de me passer au scanner. Une fois ce dernier fini, alors que j’enfile mon pantalon, la personne qui m’a fait subir le scanner quitte la salle en me demandant d’attendre que le docteur me reçoive. L’examen avait duré plusieurs heures en tout, j’en avais marre d’être à l’hôpital, et maintenant me voilà à attendre plus encore pour un verdict auquel je ne m’attendais pas.

Le docteur me reçoit, m’invite à m’asseoir. La voix dans ma tête me parle de manière très directive : « Laisse-le parler. Ecoute chaque mot. Apprête-toi à encaisser ». C’est ce que j’ai fait. J’ai encaissé ce que je qualifie désormais de bonne nouvelle. Mes os sont intacts, nulle autre trace de cancer. La scintigraphie osseuse sert à vérifier que le cancer ne s’est pas répandu jusque dans les os, ce qui marquerait un stade avancé et préoccupant de la maladie. J’ai aussi encaissé l’inattendu. La beauté des clichés de scintigraphie : me voir sous sa forme d’un squelette lumineux m’a fascinée.

Apprivoiser une machine gueularde.

La radiothérapie commence. Dans la clinique dans laquelle je suis traitée, plusieurs machines dispensent des rayons. Chaque machine a son petit nom, celle que l’on m’assigne s’appelle Galaxie. Je prends place pour la première fois dans Galaxie fin octobre 2019. Le personnel qui contrôle ces appareils est prévenant et gentil. Deux personnes de l’équipe m’expliquent comment me placer en position allongée avec mon bras gauche replié et relevé. Ce sont eux qui ajustent la position de mon torse pour que les tatouages du torse s’alignent parfaitement avec les traits lumineux que projette l’appareil. Ils procèdent à quelques vérifications du sarcophage de métal avant de quitter la salle. Les moniteurs et tableaux de bord de l’engin sont à l’extérieur de la pièce. On communique avec moi par micro. On me demande de ne plus bouger. Un panneau tourne autour de moi en faisant un boucan pas possible. Des mouvements saccadés, interrompus par des pauses en trois angles différents. Un mélange de vibration de carlingue et de glissement huilé. Ajoutez à cela un martèlement théâtral, 3 coups sourds, avant ce bourdonnement que j’ai interprété comme étant le bruit émis par la diffusion des rayons. De vous à moi, j’ai mis un certain temps à m’habituer. C’est stressant. On est à des milliers d’années lumière de la séance de bronzette.

Les courses en taxi.

Les séances de radiothérapie sont  programmées du lundi au vendredi. Les heures de rendez-vous sont différentes d’un jour sur l’autre et elles changent chaque semaine. Chaque vendredi, on nous donne le planning précis de la semaine à venir. J’ai compris que me rendre tous les jours à la clinique pour les rayons par les transports en commun n’était pas une bonne idée. Il faut me créer une bulle de protection. On m’apprend à l’accueil de la radiothérapie que le déplacement du domicile à la clinique est pris en charge par la sécurité sociale et que l’hôpital dispose d’une liste de taxis agréés. Être prise en charge, voilà qui rompt avec l’histoire de ma vie et qui me me plait. J’appelle donc la société de taxi qui couvre le secteur où j’habite. Effectivement, ces personnes sont rodées. Le monsieur à qui je parle me demande quel médecin me suit, l’heure de mon prochain rendez-vous et sur quelle machine je passe. Il me demande de me tenir prête une heure avant mon rendez-vous. La circulation est certes encombrée à Marseille, mais la raison pour laquelle il me demande de me tenir prête bien avant l’heure, c’est surtout parce que le taxi transporte plusieurs patients à la fois. S’il m’est arrivé de voyager seule, la plupart du temps j’ai voyagé accompagnée. Mes compagnons de radiothérapie sont bavards, et sans surprise, Raphaël, le conducteur de taxi l’est aussi.

C’est fou ce qui se crée entre les personnes qui partagent un taxi pour se rendre à leur séance de radiothérapie. On passe prendre les gens en bas de chez eux, en maison de retraite ou dans un centre de traitement de chimiothérapie. Les discussions sont inévitables, les confidences sont courantes.

On passe devant l’enceinte chic du siège d’une banque, une des passagères y a justement travaillé. Elle nous dit qu’elle y a occupé un poste de dirigeante et que la maladie a rompu ses liens avec de nombreux collègues, que le travail lui manque, que les déjeuners avec les collègues lui manquent. On parle de douleurs aussi. Une de mes compagnes de voyage était programmée pour passer juste avant moi sur Galaxie. Quand elle sort de la salle sécurisée, elle vient vers moi et retire son foulard pour me montrer les traces de brûlure sur son cou. Elles saignent. Son cancer est dans la gorge. Son médecin lui prescrit de la morphine pour que la douleur se taise le plus possible. Elle a hâte que Noël arrive, pour ne plus être seule, revoir sa fille et ses petits-enfants. Par la fenêtre du taxi elle me montre la barre d’immeubles où habite sa fille.

Nos rendez-vous finis, spontanément on se regroupe pour attendre notre chauffeur parti chercher d’autres personnes. Une fois je patientais à la cafétéria de l’hôpital avec un de mes compagnons irradiés. Ce monsieur porte vraiment bien ses 70 ans. Il me raconte ses cours de danse de salon avec sa femme et les repas organisés en fin d’année par la mairie de secteur. Malgré sa bonne humeur affichée, il est confus. Il me demande s’il va perdre ses cheveux à cause de la radiothérapie. je lui réponds que non, que c’est la chimio qui engendre la perte des cheveux. C’est de sa peau dont il doit prendre soin. Il me pose à nouveau la question. Je réalise à quel point les personnes en cours de traitement ont besoin de plus que du traitement. Elles ont besoin d’être écoutées et entourées. Je lui conseille de poser toutes les questions qui le taraudent à son radiothérapeute. On a tous un rendez-vous régulier programmé avec le médecin radiothérapeute qui suit notre dossier pour s’assurer que notre peau ne brûle pas trop. Trop ça veut dire que la peau se met à saigner et suinter. La radiothérapie c’est de la radioactivité. Il me semble utile de le rappeler.

Une autre fois enfin, dans une minuscule salle d’attente, en fin de journée, plus grand monde dans la clinique, nous sommes trois à attendre Raphaël. Je suis la nouvelle alors on me demande pourquoi je suis là. Cancer du sein. Et vous? Prostate. Ca aurait pu s’arrêter là ou embrayer sur des banalités. Non. Le monsieur a poursuivi, pudiquement il a parlé de sa femme, de sexualité, de la vieillesse, de ne plus être comme avant, d’être résigné. Il m’a beaucoup émue. Ils m’ont tous émue pour tout vous dire. Je me suis tellement reconnue dans ces hommes et femmes que j’ai croisés pendant la durée de mon traitement. Je suis persuadée qu’ils ont eux aussi trop souvent entendu des « ça se soigne bien » et eu envie de répondre : « Ferme-la ».

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2 réponses à « CA SE SOIGNE BIEN (partie 4) »

  1. Plein de courage et de bonnes pensées pour toi Laurence dans ce parcours difficile, où l’on se sent bien seule, partager ton vécu c’est courageux et aussi à la fois cela va certainement t’aider et aider aussi d’autres personnes, car quand on est pas passé par là on ne peut s’imaginer le parcours.
    Je t’embrasse bien fort de l’Anjou, prends bien soin de toi
    Amitiés
    Janick

    1. Je t’embrasse aussi Janick. Merci pour ton commentaire.

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