Partie 3 : Effets collatéraux
▶︎ (Re)lire l’introduction de mon récit : la maladie met mal à l’aise
▶︎ (Re)lire la partie 1 : apprendre qu’on est malade
▶︎ (Re)lire la partie 2 : l’emballement
24.09.2019 rdv chirurgien (lymphocèle 1)
25.09.2019 rdv oncologue
02.10.2019 rdv radiothérapeute
03.10.2019 rdv chirurgien (lymphocèle 2)
La détresse des autres prend le pas sur la tienne.
La solitude n’est pas un état qui me terrorise. Au contraire, la solitude c’est pour moi l’endroit où je me retrouve quand je me suis perdue. Or depuis la chirurgie qui avait eu lieu le 11 septembre, mon entourage a tout fait pour m’empêcher de me réfugier dans ce seul endroit où je pouvais me ressourcer : en moi-même. Comment puis-je regretter d’avoir été aussi entourée que je l’ai été ? Parce que j’aurais tellement aimé que plus de personnes se soient posé la question de savoir ce qui me ferait réellement du bien. Des remarques comme « Il va falloir que tu sois forte » m’ont blessée. Je n’ai rien dit même si je ne m’attendais pas à entendre une telle banalité de la bouche d’une personne qui me connait un minimum. « Depuis 47 ans, c’est passé crème », j’ai eu envie de lui répondre. Un autre ami m’a dit qu’il m’appellerait tous les jours. Entre ses appels et les messages d’autres gens, j’ai dû rabâcher les détails du suivi médical plusieurs fois par jour alors que je ne voulais qu’une chose : laisser de la place à autre chose que la maladie et son traitement. J’ai réalisé mon degré d’épuisement moral quand une très bonne amie m’a demandé comment je me sentais. La réponse qui me brûlait les lèvres était brutale : « Mais comment veux-tu que je sache puisque toi et tous les autres m’empêchez d’être avec moi-même? Mon temps se partage entre les médecins et vos foutues demandes de rapport des dires des médecins. Ca ne me laisse plus de place si tu réfléchis bien. Vous m’anéantissez. » Je ne lui ai pourtant pas lâché cette bombe. Je l’ai rassurée en lui disant que ça allait. L’ironie de ma situation était que je ressentais la détresse de mon entourage et j’ai fait de mon mieux pour l’amenuiser
Des incertitudes mêlées à de la douleur. Alors tu prends des photos de tes seins…
Avant la chirurgie, on vous décrit grosso modo ce qu’on va vous faire. Ce qu’on ne peut évidemment pas vous dire c’est comment vous allez le ressentir (trop subjectif) et les éventuels effets secondaires (trop de variables en jeu je suppose).
J’ai subi une mastectomie partielle au sein gauche, ce qui veut dire que seules la tumeur et une partie de la glande mammaire autour ont été enlevées. Autrement dit, j’ai toujours mes deux seins, ce qui n’est pas le cas de toutes les femmes qui ont subi une chirurgie du cancer du sein. Le sein opéré sera un peu plus petit qu’avant parce que moins de glande mammaire pour le modeler. Le détail amusant, parce qu’il y en a aussi, c’est que le mamelon est resté plusieurs semaines turgescent après mon retour de l’hôpital. Quel soulagement ce fut de constater que mon sein avait conservé ses qualités érogènes malgré le charcutage! Le chirurgien a aussi prélevé deux ganglions lymphatiques sous l’aisselle près du sein. Moins cool pour le réseau lymphatique comme je le découvrirai plus tard.
Au tout début, les sensations dans le sein opéré ressemblent à ce qu’on ressent en cas de contusion. La zone autour de la cicatrice, sur le côté du sein et jusque dans le creux de l’aisselle, est boursouflée si bien que lorsque mon bras pend le long du buste, je ressens une sorte de bosse qui me gêne. Au fur et à mesure que l’engourdissement dû au traumatisme des coups de scalpel s’estompe, les sensations deviennent plus vives et plus localisées. Je me rappelle par exemple ces sensations internes de picotement ou de décharges électriques qui surviennent inopinément le long de lignes du mamelon, à l’aisselle, ou du dos à l’aisselle et au coude. C’est très surprenant de découvrir qu’une si grande étendue de moi soit finalement chahutée par l’opération. Un autre aspect auquel je n’étais pas préparée : être entravée dans mes mouvements. Il m’aura été impossible de lever mon bras tendu pendant de nombreuses semaines. Comme vous le constaterez sur les photos, je peux lever le coude certes mais je ne peux pas étirer l’avant bras avec mon coude levé. La tension est telle dans l’intérieur du haut du bras jusque dans l’aisselle que j’ai la sensation que le tout va se déchirer du dedans. Lors de l’opération pour accéder aux tissus à prélever, on sectionne des tissus musculaires (pectoral), des fascias, on dénature le réseau lymphatique localement et on « irrite » de la fibre nerveuse. Au fur et à mesure que l’inflammation des tissus s’amoindrit, la zone triturée est moins enflée et des détails apparaissent dans l’aisselle. L’un me dit qu’il s’agit d’un ligament tendu à bloc, l’autre que c’est un canal lymphatique qui se remet tant bien que mal du séisme. A vrai dire peu m’importe leurs diagnostics dissonants. Ce que mon corps se rappelle c’est l’impuissance dans laquelle je me trouvais, je ne savais pas comment faire pour inviter cette zone sous haute tension à se relâcher. On me donne comme consigne de ne pas utiliser mon bras gauche pour faire quoique ce soit, on ne me précise pas pour combien de temps. Pas simple de faire comme s’il n’existait pas.
Une autre mauvaise surprise fut l’apparition de gonflement important sous la cicatrice. il s’agit d’accumulation de lymphe qui prend la forme d’un kyste ; chez moi ça aura ressemblé à un œuf encastré sous l’aisselle. La pression que provoque cette poche de fluide fait mal et je suis obligée de tenir en permanence mon bras éloigné des côtes pour ne pas rajouter de pression sur la zone. En position allongée il y a moyen de trouver un placement de bras qui ne fasse pas pression sur le lymphocèle (c’est le p’tit nom de cette boule), mais assise ou debout, pas vraiment, ce qui occasionne de sales tensions dans l’épaule et les trapèzes qui tiennent le bras en permanence ou presque. On ne m’avait rien dit de ça, j’ai donc pris mon mal en patience deux semaines en pensant que ça se résorberait. Jusqu’à que je n’en puisse plus. J’ai pris mes premiers selfies seins nus pour les envoyer au chirurgien. Il m’a dit ce que c’était et qu’il pourrait faire une ponction de lymphe pour me soulager. L’idée de me faire enfoncer une seringue au travers de la cicatrice me ravissait peu mais le soulagement était bel et bien au rendez-vous.


De la sueur et du plaisir.
En marge de tout ce que j’ai évoqué précédemment, je vivais ma vie « normalement ». J’avais une envie folle de me dépenser et de transpirer. J’ai racheté à une amie son vélo électrique et je me suis fait un plaisir indicible en empruntant la piste cyclable de la corniche Kennedy à peine le vélo récupéré. Transpirer. Peut-être que la sueur me donnait l’impression de me nettoyer des médicaments que mon organisme avait dû avaler, sans doute aussi elle me rappelait que j’étais bien vivante. Vivante et méfiante à la fois. J’appréhendais la foule dans la rue. Je protégeais mon coté gauche en mettant de la distance avec tous les obstacles. Pendant un mois, on m’a conseillé de mettre de la glace sous l’aisselle dès que j’en avais l’occasion. Diligente, je me suis exécutée, d’autant plus que ça soulageait grave! De la même manière, j’ai suivi les consignes concernant la crème cicatrisante à appliquer quotidiennement sur la balafre. Avec le recul, je comprends que ces gestes de soin en apparence anodins étaient salvateurs pour moi à plus d’un titre. Ils étaient non seulement des domaines du traitement sur lesquels j’étais agissante mais aussi des gestes aux effets apaisants réels. A l’époque c’est mon instinct que j’ai suivi en prenant le parti de ritualiser les moments de la journée où j’appliquais la crème. C’était pour moi un moyen de rassurer ce bout de moi qui souffrait de ne plus savoir qui il était. Je reconnais avoir eu de la chance d’avoir dans mon attirail de crèmes un baume spécial. Les caresses de mon amoureux. Je ne peux dire comment j’aurais vécu cette histoire de cancer si je n’avais pas eu de partenaire. Aucun des fascicules médicaux traitant du cancer du sein que j’ai lus dans les salles d’attente des hôpitaux ne mentionne la sexualité ou la sensualité. On n’y lit que des mots rassurants s’adressant aux femmes qui envisagent une grossesse après traitement. A mon sens c’est un tort. Je n’ai évidemment aucune données scientifiques pour étayer ce que j’avance, seulement mon expérience. Je crois que le plaisir aura joué un rôle important dans la guérison de mon corps en lui rappelant qu’il n’est pas qu’une zone de guerre.
Je ne conclurai pas sur cette note lyrique. Je retourne au vif du sujet : le lymphocèle a fini par se re-former. J’ai re-pris des photos de ma poitrine. On m’a re-ponctionné de la lymphe en me disant d’un ton péremptoire qu’il ne faudrait pas que ça se reproduise encore. Comme si je le faisais exprès! A ce stade du « protocole », l’enjeu est de passer à la deuxième partie du traitement, or pour accéder au niveau 2 du game, l’entaille faite lors de l’opération doit avoir cicatrisé et le sein gauche doit retrouver un volume « normal », sans œuf encastré à proximité. A la même période, je rencontre également l’oncologue avec qui le traitement par chimio est remis sur le tapis. Je retiens difficilement mes larmes. Je suis épuisée par ces montagnes russes émotionnelles que je traverse depuis le début de mon histoire. Je ne suis pourtant pas une pleurnicheuse, faut croire que je suis à cran. Il évoque la radiothérapie. Je ne m’ y oppose pas. Voilà le niveau 2 du game enclenché. Je regarde deux épisodes de Chernobyl le soir-même. Comme les personnages, je ne suis pas sûre de comprendre les tenants et aboutissants de ce qui est en train de se passer. En réalité trop de choses nous dépassent mais nous ne le reconnaissons que difficilement. Grande leçon de vie. Bonne série.

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