La maladie met mal à l’aise
On m’a diagnostiqué un cancer du sein en août 2019. « Attends, c’est pas le pire des cancers. Ca se soigne bien. » Le genre de phrase qu’on m’a adressé et qui m’a d’abord surprise avant de m’agacer. D’abord on ne soigne pas une maladie, on soigne une personne, ensuite relativiser ce qui m’arrive, oui, mais impliquer que mes inquiétudes et douleurs n’ont pas leur place, certainement pas.
Comment se fait-il qu’on demande à une personne si elle va bien si on ne veut pas entendre sa réponse? En réponse, on dit rarement qu’on va mal, c’est impoli ; on répond souvent que ça roule, ça écourte l’échange. Au-delà du contexte d’échange de politesses, quelle place accorde-t-on vraiment à la réalité de la réponse à la question » Comment vas-tu? » ?
L’expérience que je fais de la maladie m’a appris que cette question « Comment vas-tu ? » était inévitable. Même si je ne peux pas la laisser sans réponse, j’ai aussi appris que je ne peux pas exprimer toute la réalité de ce que je traversais parce que ce que la plupart des gens veulent c’est d’être rassurés, pas de savoir. Heureusement, une poignée de personnes nous a laissé de la place à mon expérience et à moi en disant de loin : » Je suis là si tu en as besoin, n’hésite pas. » Parce que le comble de cette expérience c’est que la maladie finit par prendre toute la place ; tu finis par devenir « la copine, la sœur ou la collègue qui a un cancer » sans qu’on sache vraiment de quoi il en ressort, en plus de quoi c’est à toi qu’il incombe d’aider ton entourage à accuser le choc de la maladie.
Avant de poursuivre mon propos je dois avoir l’honnêteté d’ajouter que d’être dans la peau de celle qui a un cancer m’a fait réaliser que par le passé, dans une autre peau, j’ai moi aussi été de celles.ceux qui voulaient être rassuré.es, qui voulaient « positiver » à tout va et je regrette de n’avoir pas eu le courage de laisser leur place aux personnes concernées et à leur histoire. Alors je vais vous raconter « mon » cancer pour que « ma » réalité de la maladie soit entendue, non pas comme une manière de me poser comme une victime, mais comme une invitation à réévaluer la maladie comme une expérience de vie qui, bien que parée de faits médicaux ou de données statistiques, reste chargée de subjectivité et renvoie à ce à quoi nous nous entêtons à ne pas laisser de place : fragilités, cassures et mort.
L’expérience c’est ce qui nous protège de la fascination pour la certitude, du besoin maladif de certitude, c’est ce qui fait comprendre que connaissance, incertitude et faillibilité travaillent de concert, et l’obligation d’expérience, de vivre le savoir, de le ressentir, de l’expérimenter, de tenter de le reproduire, nous permet de consolider des étapes malgré un sol plus que mouvant.
– Citation tirée d’un essai de Cynthia Fleury que je conseille vivement :
Le soin est un humanisme
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