A la rentrée, en diverses occasions, on m’a demandé des photos de moi en position de yoga et des portraits. Les clichés dont je dispose ont déjà pas mal servi alors j’en ai profité pour me livrer à cette expérience que je déteste : me faire tirer le portrait. Je déteste ça parce que je ne suis pas une poseuse.
Quand je pose pour une photo, on me demande sans cesse d’être autrement que ce que je suis. Quel paradoxe! Alors que ça fait des années que je travaille à la découverte et conquête de ce que je suis vraiment, vous me demandez de dévier la trajectoire pour me conformer à ce qu’on attend de moi sur pixels!
Qu’attend-on de moi (et du yoga) sur pixels ? Bah que je m’adapte à l’imagerie d’Epinal qui va avec. « Ca ne te ressemble pas, tu as l’air dur sur cette photo. Toi, tu es douce. Le yoga, c’est apaisant. » ; « Quelque chose de plus pimpant, pétillant. Souris, c’est quand même mieux. »
Deux mots se précipitent : stéréotypes et projections. Je voulais partager avec vous deux photos de yoga et vous en dire plus sur la personne qui pose.

Cette photo a été prise par Alexandre. Je suis arrivée au studio de prise de vue après avoir trop peu dormi. J’avais passé une nuit effroyable. Je n’avais pas arrêté de pleurer. Mon petit ami de l’époque était violent. Nous avions eu une forte dispute toute la nuit. Alexandre et son assistant ont été super gentils et m’ont aidée à me détendre un peu. C’était il y a 7 ans.

Cette photo a été prise cette année par Jacques. Cette session photo a du être organisée début septembre, assez vite. Il y a avait urgence à fournir les images aux personnes concernées. J’aurais pourtant préféré les faire à un autre moment. Je n’avais pas la tête à m’entendre dire qu’il fallait sourire. Je m’étais répété ça pendant presque un an. J’en avais assez. A peine deux semaines auparavant, j’avais dû prendre la décision de rompre ma relation amoureuse et déménager mes affaires de chez l’homme dont je me séparais. Une décision difficile ; une relation unilatérale ; j’étais en train de me perdre. Depuis, je suis hébergée chez une amie.
il y a sept ans, si je n’avais pas été suffisamment « dure », j’aurais pu y rester. Cette année, ma vie rentre facilement dans quelques cartons usés par les déménagements. Sans le soutien de mes amis, je serais à la rue. Comprenez que la gravité d’une situation peut se lire aussi sur un visage.
Arrêtons avec les clichés de yoga. Arrêtons de façonner une perception trompeuse de ce que l’on pratique. Nos vies ne sont pas faites de successions de salutations au soleil langoureuses à Bali. Tout le monde essuie des revers, tout le monde tombe à terre, tout le monde repart de zéro à un moment ou un autre. Les profs de yoga aussi. Et laissez-moi vous dire qu’il y a du yoga dans tout cela. Ma pratique de yoga (asana, pranayama, méditation et tutti quanti) maintient mon corps solide, me permet de laisser émerger ce qui est, de me détacher des scenarios « Et si … » et de ne pas sombrer dans le pathos. Et une autre chose de yoga merveilleuse prend corps : le soutien inattendu de personnes proches (mais pas que) qui m’a permis de réaliser que j’ai la chance d’avoir tissé des liens qui ont une importance indicible. Je tiens aussi à ajouter qu’enseigner le yoga, et j’entends par là créer le cours et le dispenser, fait aussi partie de l’équation. Je ne trouverais jamais les mots suffisamment puissants pour communiquer à tous ceux que j’ai le privilège de côtoyer sur les tapis que l’intérêt que vous manifestez en accueillant ce que je vous propose et l’enthousiasme, la gentillesse et la vulnérabilité dont vous faites preuve pendant les sessions donnent un sens profond a ce que je suis et ce que je fais. Et, sans le savoir, vous me faites relever la tête et garder le cap quand des expériences intimes me bouleversent et me font douter.
Lorsque vous choisissez de publier des photos de yoga, avant de la poster, posez-vous la question de votre intention. Et là, je formule un souhait pour que collectivement, on fasse évoluer les choses. Je souhaite qu’à l’aide des images de yoga que nous choisissons de publier, nous racontions une histoire, une histoire qui est la nôtre, une histoire qui peut nous relier aux autres. Je souhaite qu’on arrête de se forcer à sourire ou à poser sur les photos de yoga et qu’on ait enfin des choses vraies à partager et pas de leçons a donner. Les apparences clivent, les histoires elles, rassemblent.
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