La réponse est oui, mais pas comme vous croyez. Il s’agit de faire un choix difficile et d’user de sa volonté sans brutalité en vue d’une transformation.
La violence, ou plutôt, le principe de non-violence en yoga, est un sujet qui est abordé dans un livre vintage que m’a offert une amie. Il est paru en 1966, il est écrit par une grande dame du yoga, Eva Ruchpaul. Elle y décrit les fondements de sa méthode et y partage aussi des descriptions illustrées d’asanas.
L’un des passages que j’ai trouvé intéressant concerne donc sa réflexion sur le principe d’Ahimsa (traduit en français par ‘non-violence’) et ce qu’implique en conséquence la notion d’effort en yoga. Selon moi, son analyse est très pertinente et décrit justement le processus d’apprentissage des asanas avec la découverte et le travail d’écoute de nos limitations physiques et ces dialogues intérieurs qui font surface.
Une lecture qui j’espère rassurera les pratiquants actuels : et oui, tout le monde passe par là! Sinon, dites-vous qu’il y a de fortes chances qu’on ait raté quelque chose. Et aussi une lecture pour familiariser les gens qui ne pratiquent pas encore avec les subtilités du travail du corps par le yoga. Loin d’ »intellectualiser la gym« , le yoga est un un retour à l’animal que nous sommes et un moyen de tester nos réactions et les ajuster pour un mieux-être.
Contrairement à la fausse idée qu’on s’en fait, le travail postural de yoga est ardu. Ce n’est pas de « la gym de mémé » (attention, je respecte profondément les mémés, je ne fais que citer ce qui se dit). Eva Ruchpaul explique en des termes simples l’expérience délicate et subtile que nous vivons en pratiquant les asanas.
« Tout apprenti [de yoga] normal se trouve aux prises, dans les débuts, avec deux difficultés bien distinctes. D’abord les obstacles physiques : manque de souplesse des muscles, ankylose des articulations ; quand il organise son corps dans une posture, une foule de limitations et de difficultés lui deviennent sensibles. C’est alors que monte vers lui la seconde vague de difficultés, d’ordre psychique cette fois : l’agacement devant les inaptitudes mécaniques, l’envie rageuse de forcer l’obstacle brutalement, d’en finir au plus vite avec la douleur, de lȃcher enfin la posture. Ces difficultés, d’ordre psychologique, sont les plus tenaces et les plus difficiles à surmonter, surtout lorsque l’orgueil (compétition avec soi-même) entre en jeu. »
C’est comme si le travail des asanas nous ramenait entièrement à la réalité de notre corps physique, nous rappelait que nous sommes squelette, chair et viscères. Une réalité bien mal menée en fait et qui amène E. Ruchpaul a envisager le yoga comme un moyen de nous remettre en contact avec notre animal, cet animal devenu sauvage et étranger.
« Quand on prend la peine de considérer le peu de soin que la vie courante nous laisse porter à notre animal, comment ne pas nous retrouver en face d’un ennemi? Il ne comprend pas ce que nous voulons obtenir de lui. Et nous. depuis combien de temps sommes-nous sourds à ses messages? Un homme moderne normal ne sait plus percevoir dans son organisme les signaux de détresse, que lorsqu’il est trop tard.
Avant le naufrage, l’homme moderne est très fier de s’ignorer, ce lui semble une vertu, et de passer outre. Il ne se pose que très rarement des questions sur les causes profondes de ses limitations psychologiques.«
Mais si la difficulté était notre allié finalement? Voire même une opportunité?
« En ne perdant pas de vue que le yoga est une éducation psycho-somatique, on doit tout d’abord s’ôter définitivement de l’esprit l’envie de « casser » la difficulté physique, mais plutôt tendre à la considérer comme un obstacle tout à fait normal, à sa place, presque utile. »
« La douleur physique n’a rien d’incongru, cette douleur physique, elle est à sa place. Il faut la prendre telle qu’elle est, la considérer froidement sans la nier : la volonté est chose trop précieuse pour l’user dans la négation d’une réalité. »
Masochistes, s’abstenir. Il ne s’agit pas de se contraindre à l’inconfort. La douleur n’a de valeur que parce qu’elle nous met face à un choix. Et c’est ce choix qui définit Ahimsa.
« Le principe d’Ahimsa va de soi pour l’Hindou, mais pour l’Occidental? Il n’a même pas de mot pour la nommer : il se sert de son contraire. Non-violence, C’est le plus souvent un état négatif pour un esprit européen. (…) C’est un état d’attente, peut-être une technique de faiblesse, surtout ce n’est pas une tournure d’esprit active.
C’est là que la mise au point semble utile. La non-violence est un acte. Un acte constant, un choix continuel, un effort toujours soutenu pour ne pas se laisser prendre à l’attirance de la facilité. »
« Pour nous, faire un effort, c’est tendre volontairement toutes nos facultés pour vaincre une difficulté, mobiliser toutes nos capacités pour abattre l’obstacle. On dissocie rarement l’effort de la violence et la rapidité d’exécution. »
« Or, dans le Hatha Yoga*, on apprend à dissocier la notion d’effort de celle de violence, on apprend à choisir et à durer ; (…) on manie son propre corps dans un effort constant exempt de toute brutalité. »
*Hatha Yoga fait référence a toutes les formes de yoga impliquant le travail postural d’asanas.
« On doit remarquer que si l’obstacle de la douleur physique est inévitable, le yoga ne lui confère pas une utilité en elle-même comme l’ont fait bien des doctrines occidentales. Ce qui trempe le caractère de l’apprenti, ce n’est pas le fait de se dresser devant la douleur et d’endurer, mais d’éveiller des facultés, de choisir parmi ses ressources celles qui le serviront le mieux pour contourner l’obstacle justement évalué.«
Le choix de la violence. Limitant.
« Revenons à l’exemple de l’apprenti qui prend une posture de yoga, donc fait un geste inhabituel pour son organisme. Sa première sensation est inconfortable : les muscles sont étirés, les articulations « ne veulent pas ». Surpris par la mauvaise volonté de son instrument, bien avant que la posture soit achevée dans sa forme, il force. Là, l’inconfort devient douleur, douleur réelle ; la panique éclate, il lâche tout et dénoue ses membres. Il n’a rien fait, il ne lui reste qu’un sentiment de démission et des membres douloureux et récalcitrants. »
Le choix d’ahimsa. Redevenir l’animal.
« Retournons au même exemple de débutant face a la difficulté mécanique, mais qui cette fois sera désireux d’étudier en même temps ses capacités psychiques.
Il organise donc la posture et sent l’inconfort avant de parvenir a l’installation complète. Là, au lieu de forcer, il reste sur ses positions, il attend comme un animal qui flaire l’adversaire. Cet arrêt, même très court, voire virtuel permet deux résultats immédiats : sur le plan physique, les contractions musculaires antagonistes ou inutiles vont se dénouer d’elles-mêmes ; sur le plan psychique, le seuil de la douleur va s’élever : à ce stade l’inconfort diminue. Alors l’apprenti pousse la posture légèrement plus loin, il va frôler la douleur, mais s’arrêter juste avant, et là, il va durer, s’installer pour tenir le plus longtemps possible.«
Du bon emploi de la volonté découle l’accomplissement.
« Lorsqu’on parvient à durer au-delà d’un certain degré d’inconfort en surmontant la première envie d’en finir, la tolérance s’installe comme une trêve et l’on peut garder la posture en temps appréciable sans rencontrer la douleur. On entrevoit alors comment beaucoup d’accomplissements sont possibles lorsqu’on fait l’effort de ne pas faire d’efforts, on obtient ce résultat par une application continue de la pensée. A la longue, on en vient a reconsidérer l’idée de volonté. Au lieu de nous apparaitre en fonction belligérante qui nous impose sa loi, tel un maitre exigeant qui nous oblige à l’effort, la volonté ne pourrait-elle être considérée comme une aide précieuse, un instrument de choix?
Si on désamorce la volonté de sa part d’orgueil, en rejetant l’idée de compétition avec soi-même, voire d’exhibitionnisme, que comporte toute décision volontaire, on aboutit à une sorte de compréhension mutuelle pacifique dont on peut attendre des prodiges. »
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